Malini Ghose

 

Investir dans l'alphabétisation et l'éducation des femmes: réflexions dans une optique indienne

«Je me suis beaucoup battue pour m'alphabétiser et vivre dignement. À présent, on me respecte. Je suis journaliste. Qui avait jamais entendu parler d'une femme journaliste à Chitrakoot? En plus une Kole (tribu) femme? Et de surcroît une femme qui avait depuis peu appris à lire et à écrire?» (Shanti, journaliste au journal Khabar Lahariya. Chitrakoot, Uttar Pradesh)

Introduction

C'est vraiment un privilège que d'écrire un article pour ce numéro commémoratif en l'honneur des 40 ans d'existence de la DVV. Cette institution s'étant constamment principalement consacrée à la promotion de la politique et de la pratique de l'éducation des adultes, et n'ayant jamais changé d'orientation malgré la perte d'importance croissante de ce secteur au sein des calendriers politiques, j'ai jugé que l'occasion était propice de nous remettre en mémoire le potentiel transformateur de l'alphabétisation et de l'éducation pour les femmes appartenant à des groupes marginalisés. Au bout du compte, ce ne sont pas les pourcentages de personnes alphabétisées qui rendent les efforts entrepris en faveur de l'éducation des adultes précieux, importants et essentiels, mais ce que les gens font de l'alphabétisation.

Malgré tout le tapage autour des avantages de l'alphabétisation des femmes, l'alphabétisation des adultes, à l'instar des organisations de la société civile, est en queue de liste des priorités du gouvernement indien. Un profond fossé sépare le discours des politiques de la réalité à la base. Après les succès maintes fois vantés des campagnes d'alphabétisation de la fin des années 80 et 90, le programme gouvernemental d'éducation permanente mis en place par la suite ne réussit pas à démarrer. Mettez cela sur le compte du manque d'engagement politique, de l'absence d'une vision pour investir dans l'alphabétisation et l'apprentissage du calcul pour les adultes, et pour entretenir les acquis, et du fait qu'aucun contenu, ni pédagogie, ni système d'enseignement répondant aux besoins et situations des apprenants n'aient réussi à être développés. Dans un environnement qui dans l'ensemble ne donne pas aux gens de moyens particuliers, il est essentiel d'insister pour que l'on réalise, ce qui est plus encourageant - et peut-être plus utile - que malgré toute l'apathie institutionnelle, l'alphabétisation et l'éducation des adultes restent des sources puissantes d'inspiration, d'espoir et d'autonomisation pour des centaines de milliers de citoyens indiens.

Dans cet article, je m'appuierai sur mes expériences professionnelles acquises chez Nirantar, un centre de documentation sur la question du genre et l'éducation, implanté à New Delhi, et j'y juxtaposerai mon récit du parcours de Shanti, une apprenante adulte qui, de femme analphabète originaire d'une tribu indienne est devenue journaliste. J'ai choisi de mettre en relief des expériences à la base et d'utiliser un style narratif empirique, partant de l'expérience et de l'action, et appuyant sa réflexion là-dessus comme socle sur lequel reposent l'éducation des adultes et la pratique féministe; cette démarche, je l'ai jugée appropriée pour ce numéro qui reconnaît le soutien fourni par la DVV, notamment pour catalyser de tels processus de changement.

 

Contexte

Créé en 1993, et investie d'une mission visant à autonomiser les femmes par le biais de l'alphabétisation et de l'éducation, Nirantar collabore, entre autres activités, à des projets à la base pour développer des programmes d'alphabétisation et d'éducation, des matériels, des curriculums et des approches pédagogiques centrés sur les intérêts et la réalité des femmes sur lesquels sont axées ces activités. Au cours de premières années, de 1993 à 1997, Nirantar a travaillé en étroite collaboration avec le programme Mahila Samakhia (MS)1 dans le district de Chitrakoot (anciennement district de Banda) et opère depuis 2002 indépendamment dans cette région. Le district de Chitrakoot est l'un des plus pauvres en Inde: infesté de dacoïts (bandes armées de bandits, ndlt), avec une large part de sa population composée de tribus et de dalits (terme signifiant «opprimé» et privilégié par les membres du groupe qu'il désigne, autrement aussi appelés intouchables ou parias), de faibles niveaux d'alphabétisation et un degré de violence élevé vis-à-vis des femmes. Le programme Mahila Samakhya a commencé à fonctionner en 1989, se consacrant au cours des premières années à tout un ensemble de questions: luttes contre les propriétaires et les entrepreneurs de forêts, demandes en matière d'éducation, santé et eau. Activité particulièrement innovante du programme: une formation de mécanicienne pour les pompes manuelles, dispensée à des femmes analphabètes dans des zones rurales. Cette initiative est née du besoin de répondre à la question du manque d'eau dans la région et d'un service gouvernemental des eaux qui ne fonctionnait pas. Ces interventions ont eu un certain nombre de conséquences, notamment une augmentation de la demande en matière d'alphabétisation, de formation à de nouvelles compétences et d'information. Dans ce contexte, l'alphabétisation commença à être de plus en plus perçue comme une compétence qui donnerait aux femmes le moyen de se débrouiller dans leur environnement en ayant une position de force. Pour répondre à cette demande, nous essayâmes, avec plus ou moins de succès, tout un ensemble de stratégies innovantes.

L'histoire de Shanti

Je vais à présent passer du général au particulier en narrant l'histoire de Shanti. En 1995, Shanti vivait à Manikpur, un village situé dans le district de Chitrakoot et travaillait comme assistante dans une crèche publique où elle gagnait un salaire dérisoire et où ses supérieurs la harcelaient. Quand elle entendit parler de la Mahila Shikshan Kendra (MSK), une école résidentielle qui accueillait des femmes et des adolescentes, elle décida de s'inscrire. Alors analphabète, elle vit là l'occasion d'améliorer ses possibilités professionnelles et, éventuellement, d'avoir une chance de quitter son violent époux.

Toutefois, aller à la MSK ne fut pas chose aisée: écoeuré par le fait qu'une femme adulte, mère de cinq enfants, veuille aller à «l'école» et convaincu qu'elle allait y rencontrer d'autres hommes, le mari de Shanti s'opposa bec et ongles à la décision de sa femme. Il présenta les objections habituelles: qui prendrait soin des enfants? qui s'occuperait des tâches ménagères? Shanti était déterminée à aller à l'école, mais elle en craignait les conséquences. Finalement, elle ne tint pas compte de l'avis de son mari. Comme ce dernier ne nourrissait pas les enfants pendant ses absences, elle mit ses bijoux en gage et demanda aux voisins de s'occuper d'eux. Le personnel du programme se rendit régulièrement chez elle pour s'assurer que les enfants allaient bien. Elle passa les six mois que dura le programme dans un état de tension nerveuse, mais ne s'arrêta pas pour autant.

Aux dires de Shanti, les choses ont changé depuis qu'elle est revenue de la MSK - ou c'est plutôt elle qui a changé. À la MSK, elle s'était exprimée sur la violence qu'elle avait subie dans sa vie - et s'était aperçue qu'elle n'était pas la seule dans un tel cas. Sans pouvoir arrêter la violence, après son séjour à la MSK, elle était toutefois capable de mieux la surmonter et déclara ne plus craindre que son mari la quittât. À présent, elle bénéficiait d'un nouveau système de soutien.

Son expérience à la MSK lui permit d'accéder à une toute nouvelle position. À la MSK, elle avait écrit à son époux, une lettre dont ce dernier et tout le voisinage avaient pris connaissance avec étonnement, et qui prouvait de manière concrète qu'elle s'était instruite. Les voisins se mirent à lui demander des informations. Elle commença à quitter la maison et à se consacrer à la production de la Mahila Dakiya (La Postière), un journal plein format publié par des femmes avec le soutien de la MSK et destiné à leur permettre d'entretenir leurs acquis en lecture et en écriture.

La production de la Mahila Dakiya s'arrêta brutalement en 2000. Toutefois, Shanti et une poignée de femmes avaient accroché: elles avaient foi dans le journal, avaient commencé à se faire un nom et avaient l'espoir que la Mahila Dakiya pouvait exister par lui-même; ainsi naquit en mai 2002 les Khabar Lahariya (Les Flots de nouvelles).

Aujourd'hui, Shanti et huit autres femmes sont les journalistes qui se consacrent à la publication des Khabar Lahariya.

Les interventions éducatives

 

 

Dans le récit de l'histoire de Shanti, il est question de trois interventions éducatives qui représentent des moments cruciaux du chemin qu'elle a parcouru pour s'instruire. Je souhaite en parler brièvement étant donné qu'elles sont stratégiquement importantes et mettent en relief un certain nombre de principes contre lesquels Nirantar s'est débattue pour comprendre et s'appuyer concrètement sur les expériences des femmes et en faire des stratégies éducatives importantes; pour soulever la question du pouvoir à l'intérieur et autour du processus éducatif; pour investir dans le processus d'apprentissage et les contenus de l'enseignement, et considérer le processus éducatif et son résultat comme une continuité. Ce dernier point est particulièrement important compte tenu du fait que l'actuel discours des centres d'éducation pour les femmes est tout d'abord axé sur des questions relatives à l'accès.

Le programme sur six mois pour les femmes à l'école résidentielle Mahila Shikshan Kendra

Examining empowerment

Nombre des femmes et adolescentes qui avaient acquis des notions de lecture et d'écriture lors des stages d'alphabétisation et dans les centres exprimèrent le souhait de continuer à apprendre. Pour répondre à cette demande, un programme dans une école résidentiele appelée Mahila Shikshan Kendra (centre d'apprentissage pour les femmes) fut créé en janvier 1995. L'élaboration participative du curriculum est un élément essentiel de cette activité. Après avoir beaucoup expérimenté et discuté avec les participants et les animateurs du programme, un cadre fut finalement développé autour de cinq thèmes: la terre, l'eau, les forêts, la santé et la société. L'enseignement et l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul y furent incorporés. Le défi consistait à s'appuyer sur le savoir acquis empiriquement par les femmes et à relier ces dernières à des mondes et systèmes de connaissances hors des leurs, alors qu'un certain nombre de participantes voulaient des méthodes formelles d'enseignement et entendaient acquérir des connaissances majeures ou, comme les femmes l'exprimèrent, des connaissances que l'on trouve dans les manuels scolaires. S'ensuivirent des négociations qui nous obligèrent à nous consacrer à la dynamique du pouvoir associée à la construction et à la représentation du savoir, et à essayer de déterminer ce qui vaut la peine d'enseigner et de savoir.

Création participative de matériels: Mahila Dakiya

Une autre intervention consistait à faire participer des femmes récemment alphabétisées à la production de leur propre journal: la Mahila Dakiya (littéralement la Postière). Ce fut un besoin de renforcer les compétences des apprenantes fraîchement alphabétisées par l'élaboration de matériels de lecture intéressants et appropriés, et en les faisant participer au processus de développement, qui occasionna la création de la Mahila Dakiya. Cette intervention entraîna l'inversion d'un autre rapport de force: les femmes des campagnes sont généralement considérées comme les destinatrices passives de messages de développement, mais ne peuvent-elles pas devenir des productrices de matériels reflétant leurs situations et leur donnant ainsi voix au chapitre?

La Mahila Dakhya a évolué graduellement grâce à un ensemble d'ateliers dont l'objectif principal était de donner aux femmes les moyens de s'exprimer elles-mêmes par écrit, dans une optique d'égalité des sexes, en leur apprenant à prendre des décisions concernant le choix des contenus et en leur permettant d'acquérir des compétences liées à la production technique et à la conception. Durant cette phase, l'une d'elles s'aperçut qu'alors que les histoires étaient oralement racontées en bundeli (la langue locale), leur forme écrite était toujours en hindi (la langue officielle). Inévitablement, les versions écrites étaient plus didactiques et moins sophistiquées. Avec le temps, et après plusieurs discussions sur la dynamique existant entre les langues locale et officielle, on choisit pour la Mahila Dakiya de passer d'un texte intégralement rédigé en hindi à un texte parsemé ça et là de mots en bundeli, avant de publier finalement certains articles totalement en bundeli. Le journal devint un important forum pour les participantes auxquelles il permit d'écrire des articles sur leurs nouvelles identités et de commencer à renverser les stéréotypes des sexes et les hiérarchies des castes.

Les Khabar Lahariya (Les Flots de nouvelles): un journal local

Lorsque la production de la Mahila Dakiya s'arrêta en 2000, Nirantar travailla conjointement avec un certain nombre de ses anciennes collaboratrices comme Shanti pour créer un collectif de presse des femmes des campagnes dans le but de produire un journal local qui fut baptisé du nom de Khabar Lahariya. Nous ne nous lançâmes pas dans cette entreprise sans nous être au préalable demandé à nous-mêmes et aux femmes comment le nouveau journal pourrait pousser plus loin l'expérience déjà réalisée avec la Mahila Dakiya. Ce journal avait réussi sur de nombreux points: il avait établi que des femmes récemment alphabétisées étaient en mesure d'écrire pour un journal et de le produire, il avait créé une publication qui accordait la priorité à des sujets concernant les femmes des campagnes et rompait avec les stéréotypes féminins, et il avait établi que les supports de lecture peuvent être rédigés dans la langue locale. Qu'y avait-il d'autre à faire? Certaines de nos discussions portèrent sur les limites de l'expérience menée avec la Mahila Dakiya, d'autres sur de nouvelles idées que nous voulions introduire.

L'une des limites de la Mahila Dakiya résidait dans le fait que malgré son potentiel, le journal ne dépassa jamais le stade de «journal du programme». Ce qui avait été essentiel durant les premières années, finit par devenir restrictif, et le cercle des lectrices ne s'étendit pas au-delà des femmes associées au programme. Nous voulions toutefois aussi repousser les limites d'autres façons fondamentales: la Mahila Dakiya avait été intégrée dans les discours sur l'autonomisation des femmes. Nirantar tenait absolument à ce que cette nouvelle publication intègre le monde des médias et s'ancre dans les discours politiques démocratiques. Manifestement, le journal ne devait pas quitter sa ligne politique féministe, mais plutôt la mettre à profit pour redéfinir ce qui constitue les nouvelles et engendre des institutions démocratiques comme les médias, et pour renforcer la démocratie à la base. Cette démarche impliquait que les productrices du journal et ses lectrices n'étaient plus uniquement des «sujets du développement» ou qu'elles ne devaient plus s'identifier elles-mêmes comme les sujets de relations sociales, mais qu'elles devaient devenir des «citoyennes-sujets». Nirantar chercha aussi à élargir la notion du genre dans les publications de son journal. Entre-temps, au fil des années, on avait de plus en plus reconnu qu'il fallait considérer la dimension du genre par rapport à ses recoupements avec d'autres catégories relatives à l'identité comme la caste, la religion, l'ethnicité et la sexualité. Dans d'autres domaines, nous avions commencé à appliquer cette notion dans le cadre de nos activités. Nous travaillions avec un groupe de femmes principalement composé de Dalites, et tenions par conséquent beaucoup à ce que ceci se reflétât aussi dans les articles.

L'impulsion d'origine était elle aussi différente. En publiant la Mahila, nous regardâmes à permettre aux femmes d'exprimer leurs expériences pour leur permettre de partager leur sentiment d'autonomisation avec un plus vaste public. Dans le même ordre d'idées, nous nous attachâmes à la Mahila Shikshan Kendra à réussir une percée en permettant aux femmes de s'exprimer par écrit. Leurs aptitudes à communiquer oralement étaient développées et créatives, mais elles étaient des nouvelles venues dans le monde alphabétisé. Pourrions-nous leur donner les moyens de communiquer de la même façon à l'écrit qu'elles le faisaient déjà à l'oral? Après avoir réussi cette transition, nous voulions examiner les possibilités des femmes de commenter des évènements sociaux et macropolitiques, et de faire part de leurs opinions au public. Le fait d'avoir des femmes dalites pauvres commenter ces évènements et jouer un rôle dans la formation de l'opinion public revenait pour Nirantar à défier le contrôle hégémonique de groupes sociaux très instruits.

Les Khabar Lahariya, Les Flots de nouvelles, commencèrent à paraître en mai 2002. Ils sont aujourd'hui devenus un hebdomadaire de huit pages avec deux éditions (de deux districts). Ils contiennent principalement des nouvelles locales (bien que de nouvelles rubriques soient réservées à l'actualité nationale et internationale) et des informations couvrant tout un ensemble de sujets relatifs au développement. Toutes les journalistes ont leurs propres secteurs et leurs sources. Elles se rendent dans des villages et dans différents services gouvernementaux pour recueillir des informations et interviewer des gens. Il leur arrive de quitter le district pour poursuivre leurs recherches sur un sujet. Elles passent en revue les journaux et magazines principaux pour trouver des sujets d'un éventuel intérêt. À mi-parcours de la production, elles organisent des réunions rédactionnelles d'une journée pour choisir les sujets qu'il faut continuer de traiter et déterminer ceux nécessitant davantage d'informations et ceux qu'il convient d'abandonner. La rédaction finale est réalisée collectivement: les femmes se réunissent pendant trois jours pour écrire, préparer à la publication, concevoir, illustrer et corriger les épreuves du journal. Enfin, quand le contenu est près, l'une d'elle l'emporte à Allahabad (la grande ville la plus proche) pour le faire imprimer. Vient ensuite la vente du journal dont les femmes se chargent également. Quelque 2000 exemplaires de chaque numéro sont vendus toutes les semaines - et Shanti fait partie de l'équipe.

Les femmes ne sont pas devenues journalistes du jour au lendemain. Cela n'a été possible que grâce à un apprentissage soutenu et structuré, un processus qui va au-delà de l'alphabétisation et s'étend à des domaines demandant par exemple d'acquérir des compétences spécialisées liées au journalisme, d'apprendre à se servir d'un ordinateur et d'un appareil photo, d'utiliser une messagerie électronique et, ce qui compte le plus, de s'initier à la politique tant locale que nationale.

Observations finales

 

Le potentiel transformateur

Cet article s'est penché sur les rôles de l'éducation des adultes et de la pratique du féminisme pour la remise en question des rapports inégaux entre les sexes et des structures déséquilibrées du pouvoir. Il a aussi examiné les processus éducatifs éventuellement importants pour donner aux femmes les moyens d'explorer différentes dimensions de leur condition de personne et de participer activement à la démocratie et au développement. Travailler dans le domaine de l'alphabétisation est particulièrement stimulant, car bien que l'alphabétisation soit généralement considérée comme une compétence «neutre», elle se trouve en fait imbriquée dans un tissu de rapports de force que les femmes doivent régulièrement surmonter pour pouvoir s'alphabétiser. Nous savons comment Shanti s'est battue. Toutefois, elle ne s'est pas battue seule; inutile de dire qu'elle n'aurait pas réussi sans tout le soutien qu'elle a reçu. La plupart des femmes avec lesquelles nous travaillons surmontent régulièrement une foule d'obstacles pour suivre les cours d'alphabétisation, ce qui n'indique en rien une faible motivation, la raison souvent invoquée pour expliquer l'échec des programmes d'alphabétisation.

Un certain nombre des idées présentées dans cet article illustrent les formidables possibilités qu'ouvrent l'alphabétisation et l'éducation. À l'époque où Shanti commença à s'éduquer, elle n'aurait jamais imaginé devenir un jour journaliste. Plusieurs autres femmes avec lesquelles Nirantar a travaillé n'auraient jamais cru qu'elles apprendraient un jour à lire et se surprirent elles-mêmes lorsqu'elles furent capables de lire un magazine. Toutefois, les programmes d'alphabétisation destinés aux femmes fixent d'habitude des limites: lire le numéro du bus, les ordonnances du médecin ou aider les enfants à faire leurs devoirs. Pouvonsnous aspirer à promouvoir une approche moins instrumentale de l'alphabétisation des femmes?

Examining literacy & power

Certains lecteurs auront peutêtre le sentiment que le récit que je viens de faire ne décrit qu'un «îlot de changement», mais ce n'est pas le cas. Shanti est un exemple parmi une foule d'autres exemples. De plus, les innovations qui ont été faites ont servi de base pour développer des modèles. Par exemple, la démarche de la MSK est à présent devenue une approche acceptée, communément désignée dans les politiques de l'éducation en Inde des expressions «programmes d'apprentissage accéléré» ou «cours-passerelles». En outre, les enseignements tirés de nos expériences professionnelles avec des femmes ont été appliquées dans le courant dominant de l'éducation. Nirantar s'est par conséquent consacrée ces deux dernières années à des projets de rédaction de manuels, soutenus par des institutions gouvernementales. L'une des choses que nous avons apportées dans ce travail est l'idée selon laquelle le contenu éducatif doit se construire autour des connaissances empiriques (sans privilégier ou idéaliser pour cela excessivement le savoir local).

Investir dans le processus éducatif

Combatting poverty

En examinant les trois interventions décrites ci-dessus, nous observons des points communs quant aux processus s'apprentissage. Premièrement, les projets impliquaient tous la création d'un environnement propice à la discussion, à la contestation et au consensus. Deuxièmement, l'apprentissage était principalement un acte collectif et troisièmement, outre accroître les compétences et les niveaux d'information, il comprenait aussi la réflexion pour se donner un point de vue sur des sujets. Ceci souligne aussi une fois de plus le fait établi qu'apprendre est un processus qui évolue perpétuellement et indique que les programmes d'éducation permanente peuvent vraiment avoir un impact profond s'ils sont conçus et développés avec l'imagination, la souplesse et l'interactivité qui conviennent. Néanmoins, et ce qui est plus important, c'est que cet article montre qu'apprendre doit relever d'un effort soutenu et que des investissements ont été faits dans ce sens pendant une assez longue période. Malheureusement aucun investissement à long terme comme l'exige un programme d'alphabétisation de bonne qualité n'a été fait. Nous saisissons l'occasion pour réitérer l'importance d'un engagement conjoint en faveur de l'alphabétisation des adultes et de l'éducation à la base, et de la défense de cette question au niveau macropolitique, en lançant notamment un appel en faveur d'un plus grand engagement politique.

Notes

1 La politique nationale de l'Éducation mise en vigueur en 1986 établit un lien entre l'éducation des femmes et leur autonomisation. Pour concrétiser les directives de cette politique par des actions à l'échelle nationale, un projet pilote baptisé Mahila Samakhya - éducation pour l'égalité des femmes - fut créé en 1988. Le cadre de projet, élaboré par des activistes féministes, était unique à différents égards: il offrait une définition très large de l'éducation, plaçait la responsabilité du calendrier du programme entre les mains de sa clientèle, des femmes pauvres des campagnes, issues de milieux marginalisés, et donnait aux organisations de femmes la possibilité de participer au programme. L'alphabétisation n'était ni sensée être une «activité de départ» ni être articulée en termes instrumentaux, mais être organisée à la demande des femmes.

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